Contrairement à la plupart des cancers qui touchent davantage les populations défavorisées, le cancer du sein présente une particularité épidémiologique surprenante. Une vaste étude européenne publiée dans l’International Journal of Cancer révèle que les femmes ayant un niveau d’éducation élevé seraient plus susceptibles de développer cette maladie que celles ayant un parcours scolaire plus limité. Cette corrélation inattendue s’expliquerait par des différences significatives dans les modes de vie et les choix reproductifs.
Une exception épidémiologique confirmée par des données massives
« Alors que la plupart des cancers touchent davantage les catégories socio-économiques les moins favorisées, le cancer du sein fait figure d’exception, avec un taux d’incidence plus élevé chez les femmes bénéficiant d’un meilleur statut socio-économique », souligne Margherita Pozzato, chercheuse à l’université de Milan et au Centre international de recherche sur le cancer (CICR) à Lyon.
Cette affirmation s’appuie sur une étude d’envergure, suivant pas moins de 312 000 femmes âgées de 35 à 70 ans, réparties dans neuf pays européens. Aucune participante ne présentait de cancer au début de l’étude, mais 14 400 d’entre elles ont reçu un diagnostic de cancer du sein au cours de la période d’observation, qui s’étendait sur 14 ans en moyenne.
Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes
Les résultats de cette recherche longitudinale sont éloquents et établissent une corrélation claire entre le niveau d’éducation et le risque de cancer mammaire:
- Les femmes ayant arrêté l’école après le primaire ou n’ayant pas été scolarisées présentent 39% moins de risque de développer une forme précoce de cancer du sein.
- Ce même groupe montre également 19% moins de risque d’être touché par une forme avancée de la maladie.
- Pour les femmes ayant interrompu leurs études après le secondaire, le risque diminue de 26% pour les formes précoces et de 9% pour les formes avancées, par rapport aux femmes plus diplômées.
Ces statistiques confirment une tendance contre-intuitive: plus le niveau d’études est élevé, plus le risque de cancer du sein augmente.
Des facteurs liés au mode de vie et aux choix reproductifs
Comment expliquer ce phénomène qui semble aller à l’encontre des tendances habituellement observées en santé publique, où un statut socio-économique plus élevé est généralement associé à de meilleurs résultats de santé?
Selon Margherita Pozzato, cette corrélation s’explique principalement par « des facteurs liés à la reproduction et au mode de vie, comme le fait d’attendre davantage avant la première grossesse, d’avoir moins d’enfants ou encore de consommer plus d’alcool. »
En effet, les femmes plus éduquées tendent à:
- Retarder leur première grossesse pour privilégier leurs études et leur carrière
- Avoir moins d’enfants au total
- Présenter des profils de consommation d’alcool différents
Ces trois facteurs sont reconnus comme pouvant influencer le risque de cancer du sein. Les grossesses précoces et multiples ont un effet protecteur contre cette maladie, tandis que la consommation d’alcool est identifiée comme un facteur de risque.
Un bilan à nuancer par les pratiques de dépistage
La chercheuse apporte toutefois une nuance importante à ces résultats: les femmes plus diplômées « participent davantage aux programmes de dépistage. » Cette différence comportementale pourrait partiellement expliquer la disparité observée.
En effet, une participation plus active aux programmes de dépistage du cancer du sein augmente mécaniquement le nombre de diagnostics dans cette population. Les femmes moins éduquées pourraient présenter un taux plus élevé de cancers non diagnostiqués, créant ainsi un biais dans les statistiques observées.
Malgré cette nuance, l’étude met en lumière l’importance de considérer les facteurs sociodémographiques dans l’évaluation du risque de cancer du sein et rappelle que la prévention doit être adaptée aux différents profils de population.
Le cancer du sein reste l’un des cancers ayant le taux de guérison le plus élevé lorsqu’il est détecté précocement, soulignant l’importance cruciale du dépistage, quelle que soit la catégorie socio-économique.